Abus et Eglise, ce qu'il s'est passé en Suisse

Une étude d'un an révèle plus d'un millier de cas documentés d'abus sexuels en Suisse, et critique la gestion des cas par les diocèses

Occultation des affaires, transferts de prêtres, destruction de documents sensibles, témoignages non entendus, victimes blâmées ou isolées, silence : les 136 pages du "Rapport sur le projet pilote pour l'histoire des abus sexuels dans le contexte de l'Église catholique romaine en Suisse depuis le milieu du 20e siècle", rendu public le 12 septembre, dressent un tableau très clair de la manière dont les six diocèses suisses ont traité les abus dans les institutions religieuses au fil des décennies. Et aucun des six diocèses nationaux ne tire son épingle du jeu.

Il s'agit d'une première nationale : jamais auparavant une étude couvrant l'ensemble de la Suisse n'avait été présentée, menée par une équipe de recherche indépendante qui a consulté une vingtaine d'archives d'institutions internes et externes à l'Eglise catholique et a collecté, lu et partiellement analysé des dizaines de milliers de pages de dossiers pour rédiger son rapport. L'équipe de recherche a également mené une douzaine d'entretiens avec des personnes ayant été victimes d'abus sexuels.

Un travail énorme qui a duré un an et qui a permis d'identifier et d'analyser en partie 1002 abus, pas seulement sur des mineurs. "Le projet pilote en Suisse a été mené tardivement, mais avec une approche exceptionnellement complète. Les documents analysés sont en effet nombreux et concernent également des institutions éducatives, des congrégations, des orphelinats et des associations d'enfants et de jeunes".

Au total, 510 accusés et 921 victimes d'abus ont été identifiés. Dans 39% des cas, la personne maltraitée était une femme, dans un peu moins de 56 % des cas un homme, tandis que dans 5% des cas, le sexe n'a pas pu être déterminé à partir des sources disponibles. À quelques exceptions près, les accusés étaient exclusivement des hommes. Les dossiers analysés montrent que 74% des cas concernaient des abus sexuels sur des mineurs, y compris des enfants en bas âge. C'est dans le domaine des soins pastoraux (le travail des prêtres et autres employés de l'Église) qu'il y a eu le plus d'agressions, soit 50%.

La première organisation suisse pour les victimes d'abus sexuels au sein de l'Église catholique remonte à 2010. Elle a été créée dans le sillage des scandales révélés des décennies plus tôt aux États-Unis, à Boston et en Irlande. Une vague qui ne s'est pas arrêtée et qui a déferlé sur l'Église, l'obligeant à adopter une politique de plus grande transparence.

Cependant, la transparence est obscurcie, par exemple, par le droit canon, le système juridique de l'Église, qui réglemente, entre autres, la conservation des documents au sein des institutions ecclésiastiques. Cette loi prévoit des archives secrètes, dans lesquelles sont conservés les dossiers des procès pénaux ecclésiastiques et auxquelles seul l'évêque a accès. Ces dossiers peuvent ensuite être détruits "si les auteurs sont décédés ou si ces affaires ont été classées depuis dix ans avec une condamnation, en conservant un bref résumé du fait".

Une anomalie est apparue à Lugano : l'absence d'archives organisées pour les dossiers relatifs à l'activité de la commission diocésaine d'experts sur les "abus sexuels dans l'Église", "un fait probablement dû au nombre limité de cas traités par la commission elle-même". Quatre personnes ont été en contact avec la Commission depuis 2016. Un nombre si faible que les chercheurs concluent qu'il s'agit d'un chiffre "farfelu" qui "met en évidence une forte réticence de la part des personnes concernées à signaler les abus". En outre, le Tessin manque d'associations d'aide aux victimes par rapport au reste de la Suisse.

Une réticence que l'on observe non seulement au Tessin, mais dans tout le pays. Les victimes éprouvent des difficultés à faire état de leurs souffrances. Elles ont peur de ne pas être crues, certaines ont été "diffamées" par des employés de l'Eglise. Le long rapport souligne la difficulté et la honte pour les membres de la famille de signaler les abus, en partie parce qu'il y avait souvent une relation de gratitude ou de bienveillance à l'égard de l'auteur de l'abus. Le modus operandi de l'Église comprenait alors également la pratique consistant à permettre à des représentants de l'Église d'entrer en Suisse et d'en sortir afin d'exiger un traitement favorable et de dissimuler des cas d'abus.

Pour l'avenir, les chercheurs ont dressé une liste de propositions qui comprend la mise en place de consultants indépendants de l'Eglise, la préservation des documents, plus de ressources pour les archivistes, l'accès aux archives pour tous et de nouvelles études sur le sujet.

Ce document est le fruit d'un accord entre la Conférence des évêques suisses, la Conférence des Unions des Ordres et des autres communautés de vie consacrée en Suisse, la Conférence centrale catholique romaine de Suisse et le Département d'histoire de l'Université de Zurich.

Les abus dans l'Eglise catholique

Abus dans l'Eglise: "J’ai été dans le déni pour vivre ma vie le mieux possible"

Une étude de l'Université de Zurich a répertorié plus de 1000 cas d'abus sexuels dans l'Eglise catholique en Suisse depuis 1950. Christiane Marmy est l'une de ces victimes. Elle témoigne de son expérience dans le 19h30 de la RTS.

Alors qu'elle est adolescente, les parents de Christiane Marmy déménagent à Lausanne et demandent à un très bon ami de la famille, un prêtre, de la prendre en pension chez lui pour qu'elle puisse terminer son année scolaire à Fribourg.

"Plusieurs soirs dans la semaine, il venait. Il savait où était ma chambre", témoigne-t-elle dans le 19h30. "C’était toujours dans le cadre de la chambre, la nuit, que les abus étaient perpétrés".

Christiane Marmy avait alors 14 ans. "J’avais un visage tellement innocent, qui s’ouvre à la vie", affirme-t-elle en regardant de vieilles photos. "C’est comme si on saccage une fleur qui s’ouvre à sa floraison".

C’était toujours dans le cadre de la chambre, la nuit, que les abus étaient perpétrés

Pendant trois mois, Christiane Marmy a été "vraiment sous emprise" de ce prêtre. A l'époque, elle n'en a toutefois parlé à personne.

"Je ne me souviens pas qu'il m’ait dit de garder le silence. Je ne me voyais pas en parler", se rappelle-t-elle.

La retraitée explique son silence par le statut important qu'occupaient les prêtres dans la société il y a 60 ans, lorsque les faits se sont produits.

"A l’époque, c’est un contexte sociétal de chrétienté, les prêtres avaient de la notoriété, on les considérait comme un Dieu", affirme-t-elle.

Christiane Marmy a donc vécu dans le déni pendant des années. "Pour vivre ma vie le mieux possible", explique-t-elle.

Mais en 2008, dans une discussion anodine, tout lui revient. Elle en parle alors à sa soeur qui lui dit avoir elle aussi été abusée par le même prêtre, mais bien plus longtemps.

En 2020, les deux soeurs se présentent auprès de l’évêque Charles Morerod, qui leur accorde toute son attention et l’accès au dossier de leur agresseur. Elles y découvrent que le prêtre avait déjà été accusé d'abus vers 1955, avant qu'il ne s'en prenne à elles.

"Il avait déjà eu des problèmes. Il y avait eu une dénonciation par une famille qui est restée en plan", explique Christiane Marmy.

Si elle affirme être certaine qu'à l'heure actuelle "le diocèse alerterait", cette situation renforce l'image d'une Eglise qui se trouverait au-dessus des lois.

Il existe pourtant des mécanismes permettant de faire intervenir la justice. Les prêtres et les évêques, au même titre que n’importe qui, peuvent être poursuivis par les autorités judiciaires.

Les infractions contre l’intégrité sexuelle sont également, théoriquement, poursuivies d’office, sans qu'il y ait besoin d'une plainte de victime.

Enfin, le droit canonique dit que les soupçons d'abus sexuels doivent être dénoncés aux autorités civiles s'il y a des risques de récidives.

Le nombre de procédures judiciaires ouvertes est cependant très bas en comparaison du nombre de cas d'abus répertoriés.

Cela peut s'expliquer par la difficulté pour les victimes de parler, les délais de prescription et la culture du secret dans l’Eglise de manière générale.

A l’époque, c’est un contexte sociétal de chrétienté, les prêtres avaient de la notoriété, on les considérait comme un Dieu

Le rapport de l’Université de Zurich montre en effet que l’Eglise catholique a ignoré les victimes, couverts les auteurs d'abus sexuels et détruit les archives incriminantes, relançant la question de la responsabilité juridique de L'Eglise.

Une élue vert'libérale déposera d'ailleurs la semaine prochaine un texte à Berne dans ce sens, afin de demander de définir l’Eglise responsable des actes de son personnel. Elle pourrait donc être reconnue fautive en cas d'abus commis par ses prêtres et ses évêques.

Dans le cas de Christiane Marmy et de sa soeur, leur plainte a été entendue, mais l'agresseur étant décédé, il n'y aura jamais de procès. Chacune a toutefois reçu 20'000 francs de compensation financière.

"Ma soeur est décédée quelques mois plus tard", raconte Christiane Marmy. "Soixante ans de silence, puis juste avant la mort, la reconnaissance. Ça a été un cri de délivrance".

C'est pour cela que Christiane Marmy encourage aujourd'hui les autres victimes à demander de l'aide, notamment auprès du Groupe de soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse (SAPEC).

"Avec le SAPEC, on souhaiterait que toutes les victimes puissent parler et elles seront entendues", affirme-t-elle.

60 ans de silence, puis juste avant la mort, la reconnaissance. Ça a été un cri de délivrance

Le SAPEC lui a permis de rencontrer d’autres victimes, dont la plupart ont coupé tout lien avec l’Eglise. Christiane Marmy les comprend, mais sa foi reste intacte.

"Ça fait partie de mon histoire et je pense que c’est important qu’avec toute l’aide que j’ai reçue, je puisse relire cette histoire sereinement et continuer mon chemin sereinement", conclut-elle.

Le témoignage d'une victime 

Monseigneur Joseph Bonnemain sur les mesures prises par l'Eglise

Julien Furrer

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Des historiens ont effectué des recherches dans les archives de l'Église catholique romaine dans toute la Suisse, en mettant l'accent sur les agressions sexuelles. L'enquête a mis en lumière 1002 cas d'abus entre 1950 et aujourd'hui. L'évêque Joseph Bonnemain répond sur les mesures prises par l'Eglise pour contrer ce phénomène.

SRF : On sait depuis des décennies que des agressions sexuelles sont commises dans l'Église catholique. Dans d'autres pays, cette question a été examinée bien plus tôt, pourquoi seulement maintenant en Suisse ?

Joseph Bonnemain : D'abord parce que la Suisse est complexe. Ce pays compte de nombreux cantons et différentes cultures qui cohabitent. Nous avons les organisations ecclésiastiques d'État, c'est-à-dire les églises nationales, les diocèses et les ordres religieux. Dès le départ, nous avons voulu que ces trois institutions collaborent à une telle étude. Il a fallu du temps et de la persuasion pour convaincre tout le monde de le faire.

Nous avons absolument besoin d'un changement radical de culture.

En même temps, nous avons absolument besoin d'un changement radical de culture. Pour que l'accent ne soit plus mis sur les institutions, l'Eglise et la bonne réputation, et encore moins sur les auteurs, mais sur les victimes et les personnes. Nous avons eu besoin de temps pour procéder nous-mêmes à ce changement de culture.

SRF : Une pré-étude a documenté 1002 cas d'abus dans l'Eglise catholique en Suisse. Les historiens affirment qu'il ne s'agit que de la partie émergée de l'iceberg et qu'il y en aura bien d'autres.

Joseph Bonnemain : Les chercheurs ont encouragé davantage de victimes à se manifester, ainsi que les personnes ayant connaissance de telles agressions. Par conséquent, il est certain que de nombreuses personnes se manifesteront.

Ces agressions laissent des blessures qui durent toute une vie.

Mais c'est une bonne chose. Nous devons être là pour les gens, en particulier pour les plus faibles, pour ceux qui ont le plus besoin d'aide, pour les laissés-pour-compte, pour tous ces gens qui portent des blessures en eux. Parce que ces agressions laissent des blessures qui durent toute la vie.

SRF : Pendant des décennies, l'Église a protégé les auteurs au lieu des victimes et a systématiquement étouffé les affaires. Que faites-vous aujourd'hui spécifiquement pour les victimes ?

Joseph Bonnemain : Nous avons décidé de mesures concrètes. Tout d'abord, un bureau de signalement indépendant sera professionnellement mis en place dans toute la Suisse afin que les victimes puissent se signaler sans difficulté et qu'elles y soient prises en charge, accompagnées et soutenues.

Les conditions d'admission pour ceux qui souhaitent plus tard travailler dans le domaine de la pastorale seront très strictes.

Deuxièmement, les conditions d'admission pour ceux qui souhaitent plus tard travailler dans le domaine de la pastorale seront très strictes. Nous fixerons des normes pour les tests psychologiques pour l'ensemble de la Suisse. Nous professionnaliserons les dossiers du personnel afin que tout ce qui est enregistré soit conservé par les personnes travaillant dans l'Église et que rien ne se perde. Lorsque des personnes changent d'emploi d'un diocèse à l'autre, leur dossier doit pouvoir être transmis. Nous empêcherons et interdirons également la destruction des fichiers des archives. Cette mesure a déjà été mise en œuvre.

SRF : Il s'agit donc principalement de prévention. Cependant, plusieurs évêques en fonction sont actuellement critiqués. En tant qu'évêque, vous êtes maintenant chargé d'enquêter sur ces cas. Une personne extérieure ne devrait-elle pas s'en charger ?

Joseph Bonnemain : L'idéal serait que ce soit une personne indépendante qui s'en charge. Actuellement, cela n'est pas possible car la législation de 2019 prévoit qu'un évêque du pays s'en charge. C'est pour cette raison que j'ai accepté le poste à contrecœur. Mais je l'ai accepté avec la détermination de ne pas me laisser influencer par qui que ce soit. J'étudierai tous les faits et dossiers en toute objectivité, je mènerai des discussions et des entretiens et, à la fin, je consignerai le tout dans un rapport que j'enverrai à Rome.

L'entretien a été mené par Bigna Silberschmidt.

Bonnemain et la réaction de l'Eglise

L'Eglise va-t-elle vraiment se pencher sur les cas?

Ce que les diocèses répondent aux nouveaux chiffres sur les abus

La publication de l'étude pilote sur les cas d'abus dans l'Église catholique en Suisse a suscité de nombreuses réactions. Petit aperçu.

L'évêque Büchel reconnaît ses erreurs :  L'évêque de Saint-Gall, Markus Büchel, a réagi mercredi aux résultats de l'étude et a admis des erreurs. Les enquêtes portent notamment sur deux cas survenus à Saint-Gall. L'une d'entre elles concerne de graves abus dans un foyer pour enfants à Lütisburg qui ont duré jusqu'en 1988. L'autre affaire concerne un prêtre accusé d'agressions sexuelles depuis 2002. Des poursuites pénales ont été engagées contre lui. Bien que les deux cas relèvent principalement du mandat de son prédécesseur, c'est l'évêque Büchel qui n'a pas revu ses enquêtes, a-t-il déclaré.

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Démission de l'abbé de Saint-Maurice : Jean César Scarcella, abbé de Saint-Maurice, a annoncé qu'il démissionnait temporairement jusqu'à ce que les enquêtes menées à son encontre soient terminées. Il est accusé d'agression sexuelle et de dissimulation et fait l'objet d'une enquête de la part de l'enquêteur apostolique spécial Joseph Bonnemain. Bonnemain a été nommé par le Conseil des évêques, l'organe responsable de ces accusations à Rome.

Le diocèse de Lugano souhaite une amélioration : Le diocèse de Lugano a laissé entrevoir un "changement définitif". Selon l'étude pilote des historiens, de nombreux documents y ont été détruits dans les années 1990. En outre, les archives ont été gérées par un personnel non formé pendant de nombreuses années. Il est impossible pour le diocèse de Lugano de ne pas reconnaître sa culpabilité dans cette affaire, a déclaré l'administrateur apostolique du diocèse de Lugano, Alain de Raemy. Il faut rendre justice aux victimes, a-t-il déclaré. En guise d'amélioration concrète, M. de Raemy a évoqué la possibilité de créer un bureau indépendant de signalement des agressions sexuelles. La commission qui existe aujourd'hui pour de tels cas fait partie du diocèse de Lugano lui-même.

Plaidoyer pour un changement de culture : L'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Mgr Charles Morerod, a qualifié l'étude de l'Université de Zurich de "choquante". Il a déclaré que le rapport montrait une fois de plus la mauvaise gestion des cas d'abus dans l'Église. "Nous sommes engagés dans un changement de culture au sein de l'Église", a assuré M. Morerod. Selon le SonntagsBlick, il est lui-même accusé de ne pas être intervenu lorsque les cas d'abus ont été connus. Il aurait même promu le prêtre en question. L'évêque Morerod n'a pas souhaité faire d'autres commentaires aux médias sur ces accusations, car les "faits ont été présentés aux organes compétents", c'est-à-dire à l'État et à la justice ecclésiastique. Il ne veut pas interférer dans les enquêtes. Peu après sa déclaration, Charles Morerod a été admis à l'hôpital. Il avait subi une hémorragie crânienne à la suite d'un accident de vélo il y a quelques mois. L'opération s'est bien déroulée, selon le diocèse.

Offre de démission à Sion :  L'évêque Jean-Marie Lovey a nié toute connaissance ou dissimulation de cas d'abus. Au total, il y aurait eu 19 cas dans l'Église catholique valaisanne depuis 2015. Si les enquêtes l'incriminent personnellement, il a envisagé de démissionner. "Je n'ai détruit aucun document de cette région dans les archives", a-t-il assuré aux médias.

Réponses des évêques

La justice ne s'empare pas forcément des cas révélés d'abus sexuels dans l'Eglise

Une étude de l'Université de Zurich signalait en début de semaine qu'au moins un millier de personnes ont été abusées sexuellement au sein de l'Eglise catholique suisse, et ce depuis les années 1950. Il n'est cependant pas certain que les tribunaux s'emparent de ces cas.

Bien que la grande majorité des infractions contre l'intégrité sexuelle soient poursuivies d'office, donc sans la nécessité d'un dépôt de plainte, les informations sur les agressions sont lacunaires et ne figurent pas dans l'étude de l'Université de Zurich.

La police, tout comme les autorités judiciaires, ne peuvent pas définir la date et le lieu des abus recensés. Aucun nouveau cas ne leur est parvenu depuis la parution de l'enquête, hormis ceux qui ont été dénoncés le week-end passé par un ancien vicaire. Ces derniers sont en cours d'examen par les autorités des cantons de Vaud et de Fribourg.

Les chercheuses et chercheurs pourront également dénoncer des abus. Selon le contrat qui la lie à la Conférence des évêques suisses dans le cadre de cette étude, l'équipe précise qu'elle pourrait porter plainte si elle perçoit un éventuel acte punissable. Elle statuera au cas par cas. Enfin, certains des cas recensés par l'université de Zürich avaient déjà fait l'objet d'un dossier pénal.

La médiatisation de cette étude pourrait également encourager les dépôts de plainte, si les faits ne sont pas prescrits. Des témoins pourraient aussi dénoncer des actes. Dans ce cas de figure, la police prendrait d'abord contact avec la victime présumée pour l'informer et lui indiquer qu'elle se tient à disposition pour en discuter, a détaillé vendredi le procureur général de Neuchâtel au micro de La Matinale de la RTS.

Cependant, la victime peut refuser de s'exprimer. "La possibilité qu'on puisse fonder une accusation suffisamment solide" uniquement "sur des propos de tiers", alors que les agressions sont souvent commises à huis clos, paraît difficile, reconnaît Pierre Aubert.

Interrogée également dans La Matinale de vendredi, la professeure de droit pénal à l'Université de Lausanne Camille Perrier Depeursinge souligne également la difficulté, pour la justice, de se saisir de ces cas d'abus sexuels. Tout d'abord, les "victimes ne sont peut-être pas identifiées, ni identifiables". Et comme les faits peuvent remonter dans le temps, les assaillants sont potentiellement âgés ou décédés.

Et il existe le risque d'entraîner une personne agressée dans une procédure qu'"elle ne souhaite pas, qui risque d'être extrêmement douloureuse pour elle". De ce fait, "on peut comprendre que les autorités pénales ne foncent pas tête baissée" après la publication du rapport, conclut l'avocate.

En cas d'abus de ce type, "qui ont un impact psychique évidemment dévastateur", les personnes qui souhaitent porter plainte peuvent tout d'abord se tourner vers un centre de consultation pour les victimes d'infraction Lavi, existant dans tous les cantons, explique l'avocate Joëlle de Rham-Rudloff dans l'émission Forum de la RTS. Elles pourront notamment bénéficier d'un soutien psychologique et de bons d'aide afin d'obtenir des conseils juridiques.

Toutefois, la volonté d'entamer une procédure pénale dépend des "ressources" de chaque individu, détaille la spécialiste en droit pénal vendredi. Si certains "ont besoin de déposer plainte" qu'importe "l'issue de la procédure", devoir détailler encore et encore les agressions subies "peut être un poids psychique insupportable".

Les lésés sont aussi soumis à une "victimisation secondaire", puisque leur parole sera remise en doute et la moindre contradiction reprochée, "alors que quand vous subissez un abus sexuel, vous n'êtes pas en train de prendre des notes".

>> Ecouter l'interview de Joëlle de Rham-Rudloff dans Forum:

Même si "la procédure pénale est une épreuve", Joëlle de Rham-Rudloff note son amélioration au sein de la justice suisse avec l'introduction d'une nouvelle législation, la Lavi, en 2007.

"Les victimes ne sont plus confrontées visuellement à leur agresseur" lors de leur témoignage grâce à des salles séparées et des vitres sans teint. Quand des enfants sont entendus, ils "sont écoutés selon des protocole extrêmement stricts, par des officiers de police spécialement formés", explique-t-elle.

La spécialiste a également souligné que les avocats, tout comme les intervenants des centres Lavi, "sont là pour accompagner" les personnes dans leur démarche, alors que les procureurs et les juges sont de plus en plus sensibilisés à recevoir et analyser ce type de propos.

Sujets radio: Anouk Pernet et Robin Baudraz

Enquêtes judiciaires pas automatiques

Certains délinquants sexuels de l'Eglise s'en tirent probablement à bon compte

Avec plus d'un millier de cas d'abus dans l'Église catholique, quelles sont les conséquences sur le plan pénal ?

Les infractions sexuelles graves sont des infractions officielles - le ministère public doit ouvrir une enquête dès qu'il reçoit des preuves concrètes d'une telle infraction. Mais il ne peut le faire que si les affaires ne sont pas prescrites.

Bien que les abus sexuels graves commis sur des enfants de moins de douze ans soient désormais imprescriptibles, cela ne s'applique qu'aux affaires qui n'étaient pas encore prescrites en 2008. C'est à cette époque qu'a été adoptée l'initiative dite de la prescription.

Sur les 1002 cas recensés dans l'étude sur les cas d'abus dans l'Église catholique, seuls 67 se sont produits entre 2010 et 2023. La plupart ont eu lieu entre 1950 et 1970. Par conséquent, elles sont prescrites.

Plusieurs procureurs publics deviennent actifs

Néanmoins, l'État prend maintenant des mesures après la publication de l'étude. Le ministère public du canton de Saint-Gall examine actuellement le rapport pour y déceler d'éventuelles infractions officielles, comme il l'a indiqué à la radio publique suisse SRF en réponse à une demande. Les ministères publics des cantons du Valais et des Grisons font de même.

Toutefois, il n'est pas facile d'identifier les auteurs anonymes, selon le ministère public des Grisons. Ils espèrent donc que le rapport encouragera les victimes à déposer des plaintes pénales. Cela faciliterait grandement le travail.

De nombreuses victimes ne portent pas plainte

Selon le Centre de signalement des agressions sexuelles de la Conférence des évêques suisses, il arrive toutefois que les victimes ne souhaitent pas qu'une procédure pénale soit engagée.

Les procédures pénales peuvent être très stressantes et traumatisantes.

Agota Lavoyer, conseillère en matière d'aide aux victimes, peut le comprendre : "Les procédures pénales peuvent être très stressantes et traumatisantes".

Elle souligne que l'exploitation sexuelle des enfants est souvent une récidive. Il serait donc important d'engager des poursuites pénales pour protéger d'autres victimes potentielles.

Adrian Loretan, professeur de droit ecclésiastique et de droit constitutionnel de l'Église à l'Université de Lucerne, estime lui aussi qu'il est important que l'État prenne des mesures. Selon lui, il ne suffit pas que l'Église enquête elle-même sur les cas. "Seule la loi de l'État peut créer une conscience de l'injustice".

Les victimes ne peuvent pas être protégées par le droit ecclésiastique, car ce dernier se contente d'examiner si le viol constitue une violation de la loi sur le célibat, explique Loretan. "C'est en effet un péché, mais un péché qui peut être pardonné dans la confession."

Ainsi, certains prêtres ont simplement été transférés dans un autre lieu après qu'un abus ait été connu.

Certains évêques reconnaissent leurs erreurs

La publication de l'étude a conduit à une nouvelle réflexion au sein de l'église de Saint-Gall. L'évêque a déposé une plainte pénale contre un prêtre qui avait déjà été accusé d'agressions il y a quelques années.

Bien qu'un comité d'experts interne à l'Église ait enquêté sur l'affaire à l'époque, les accusations ont été réfutées. L'évêque a admis lors d'une conférence de presse qu'il s'agissait d'une erreur et qu'il aurait été préférable d'impliquer la police à ce moment-là.

Didier Kottelat

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Certains coupables s'en sortiront

Réactions de la base de l'Église catholique

Des fidèles engagés dans l'Église depuis des années expriment aujourd'hui de vives critiques - à l'égard des évêques et des prêtres. Et : ils exigent des réformes fondamentales. Sinon, ils ne voient pas d'avenir pour l'Église catholique.

Markus Greiner est impliqué dans l'administration de l'église d'Aarau depuis 16 ans - entre-temps, il est devenu président de la communauté ecclésiastique du district. Après le rapport sur les cas d'abus sexuels dans l'Église catholique, il a d'abord eu l'impression d'être abattu : "Lentement, la colère monte en moi face au temps qu'il faut à l'Église pour faire face à ce problème difficile et terrible. La colère monte également contre l'Église catholique romaine elle-même", explique M. Greiner.

Je peux comprendre qu'une personne dise : "Je ne vais plus supporter cela".

M.Greiner affirme que de nombreux catholiques avec lesquels il s'est entretenu ces derniers jours sont du même avis. Et certains voulaient aller plus loin : "Ils ne peuvent plus tolérer ces cas d'abus et la manière dont l'Église officielle les traite, et ils envisagent de partir". Il s'attend maintenant à une véritable vague : "Je peux comprendre tous ceux qui disent : 'Je ne vais plus supporter cela'".

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Cependant, il souhaite continuer à s'impliquer dans l'Eglise et souligne que l'Eglise fait aussi du bien, par exemple aux réfugiés et aux pauvres.

Nouvelles structures et abolition du célibat obligatoire

La structure hiérarchique du pouvoir dans l'Église catholique, l'absence de transparence et la discrimination à l'égard des femmes doivent être modifiées, estime M.Greiner. Hans Hollenstein, président du conseil de l'église catholique de Winterthur, partage cet avis. Il se félicite que l'évêque de Coire, Joseph Maria Bonnemain, enquête désormais sur le scandale des abus, mais de nouvelles structures sont nécessaires dans les plus brefs délais.

Hollenstein voit un problème avec les évêques. Ils ont une fonction à la fois exécutive et judiciaire, ajoute-t-il. "Il faut une autorité d'enquête indépendante et un tribunal indépendant au niveau diocésain. Les évêques eux-mêmes ne se sentent plus à l'aise dans leur double rôle".

La sexualité fait partie de la vie humaine - et si vous êtes censé la supprimer toute votre vie, par exemple en tant que prêtre, c'est une tâche impossible pour les jeunes hommes.

Hans Hollenstein, ancien membre du gouvernement zurichois pour le Centre, aborde également des questions fondamentales. Pour lui, les choses sont claires : le célibat obligatoire doit être aboli et l'Église a besoin de toute urgence d'une morale sexuelle plus ouverte : "La sexualité fait partie de la vie humaine - et si vous êtes censé la supprimer toute votre vie, par exemple en tant que prêtre, c'est une tâche impossible pour les jeunes hommes".

Les femmes devraient également être autorisées à exercer la fonction de pasteur

Et ce n'est pas seulement le célibat que Hollenstein remet en question. Il demande également avec véhémence que les femmes puissent exercer la fonction de pasteur. À cet égard, on pourrait s'inspirer de l'Église réformée, où de nombreuses femmes pasteurs accomplissent un travail très utile et très important.

Cette combinaison presque toxique de structures de pouvoir hiérarchiques et d'hommes occupant des postes de pouvoir peut s'avérer dangereuse.

Markus Greiner est également d'accord sur ce point. La situation actuelle de l'Église catholique romaine est intenable, dit-il. "Cette combinaison presque toxique de structures de pouvoir hiérarchiques et d'hommes seuls en position de pouvoir peut être dangereuse", est-il convaincu et ajoute-t-il : Cela peut en fait encourager les agressions.

Les exigences de la base catholique sont claires et sans ambiguïté. La question cruciale est de savoir si et à quelle vitesse la direction spirituelle de l'Église réagira. Une chose semble certaine : sans réformes profondes, l'Église catholique ne pourra probablement pas restaurer sa crédibilité.

Indignation populaire

Les impôts perçus par les évêques dans le viseur après les révélations sur les abus

A la suite des récentes révélations d'abus sexuels au sein de l'Eglise, la Conférence centrale de l'Eglise catholique suisse (RKZ) redoute que la situation ne change pas si elle n'exerce pas de pression. L'organe menace de couper les impôts versés aux évêques. Pour le conseiller d'Etat valaisan Frédéric Favre, les autorités cantonales doivent avoir un droit de regard sur les activités de l’Eglise. 

"Nous ne sommes plus en état de pouvoir faire confiance aux évêques pour qu'ils soient prêts à changer suffisamment les structures et la situation en vue de diminuer les abus sexuels", a asséné Urs Brosi, secrétaire général de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ - Römisch-Katholische Zentralkonferenz), dans le 19h30 de la RTS.

En Suisse, c'est la première fois que qu'une pression est exercée sur l'Eglise par le biais de l'argent. Quelques jours après les révélations des nombreux cas d'abus sexuels, la RKZ craint que rien ne change.

Dans la presse dominicale, la ministre zurichoise Jacqueline Fehr, en charges des affaires religieuses, promet d'exiger des comptes. "Les conditions posées aux contributions de l'Etat sont un levier efficace pour mettre fin aux atermoiements en matière de réformes", affirme-t-elle. D’après le journal Blick, l’Eglise catholique zurichoise est celle qui reçoit le plus d’argent en Suisse: près de 165 millions de francs par an.

Chaque année, l'Eglise catholique suisse encaisse plus d’un milliard de francs. Elle les perçoit principalement grâce aux impôts des fidèles et des entreprises, mais également via la contribution des pouvoirs publics.

En Suisse romande, des impôts ecclésiastiques sont perçus dans les cantons du Jura, de Fribourg, du Valais. Le canton de Vaud soutient financièrement l’Eglise en lui versant une partie des impôts généraux. Du côté de Genève et de Neuchâtel, les deux cantons ne prévoient qu’une contribution volontaire.

Si on apporte un soutien financier, on est en droit d'attendre que les actes abominables qui ont été révélés ne se reproduisent plus.

Ce levier financier pourrait offrir un droit de regard aux politiques. Mais au sein des cantons catholiques interrogés à ce sujet par le 19h30, le Valais et Fribourg, les réactions sont contrastées."Si on apporte un soutien financier, on est en droit d'attendre que les actes abominables qui ont été révélés ne se reproduisent plus", considère ainsi Frédéric Favre, conseiller d'Etat valaisan (PLR) en charge des Institutions. "On a le droit d'exercer une pression, y compris financière", insiste le ministre.

Autre canton, autre avis. Le conseiller d'Etat fribourgeois Jean-Pierre Siggen (PDC) se montre plus mesuré. Il considère de son côté qu'on ne peut pas arrêter de percevoir cet impôt simplement pour menacer ou faire pression. "Etant donné que l'Etat a des relations régulières avec l'Eglise, on peut rassurer la population qui s’inquiète sur le fait que nous observons son bon fonctionnement et les mesures qu’elle a prises", estime le chef de la Direction des finances.

Pressions économiques sur l'Eglise

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Abus dans l'Église, pourquoi les victimes ne portent-elles pas plainte au Tessin ?

Cinq cas ont été signalés dans le canton en un peu moins de 15 ans - Critique de la gestion des archives du diocèse de Lugano

Cinq cas en un peu moins de 15 ans, c'est étrangement peu. Parmi les chiffres qui frappent à la suite du rapport sur les abus commis au sein de l'Eglise suisse, il y a le petit nombre de victimes annoncées au Tessin. Les chercheurs zurichois ont parlé d'une forte réticence à se manifester, en l'absence même d'une association représentant les victimes. "Chaque année, je devais envoyer les données à la commission nationale et on me demandait pourquoi il n'y en avait pas", explique Fabiola Gnesa, juge et présidente de la commission diocésaine d'experts, interrogée par RSI, pour justifier cette réticence par une "question culturelle". Je ne pense pas que nous devions faire notre mea culpa" pour ne pas avoir persuadé les personnes concernées de s'adresser à notre organisme, dit-elle, mais il admet ensuite que "nous sommes chargés de recueillir des témoignages, nous ne pouvons pas aller les chercher, et c'est la limite des directives". Il est certain que l'on peut faire plus et que l'on fera plus". Les experts ont souligné l'importance pour ces commissions d'être réellement perçues comme indépendantes. "Nous avons fait beaucoup d'efforts pour veiller à ce qu'il y ait une idée de transparence à l'extérieur, et c'est peut-être ce qui a manqué", reconnaît encore Mme Gnesa.

La commission, rappelle-t-elle, est liée au diocèse mais a toujours travaillé "de manière transparente et autonome". D'autres voies sont cependant ouvertes aux victimes, comme le service d'aide aux victimes d'infractions du canton du Tessin, la LAV : l'administrateur apostolique, Monseigneur Alain De Raemy, lui a demandé de prêter l'oreille à d'éventuelles dénonciations dans le cadre ecclésiastique. Et il pourra porter un dossier devant la commission d'indemnisation de Zurich sans en informer le diocèse.

La difficulté d'identifier les cas possibles au Tessin est également liée à la gestion des archives du diocèse de Lugano. Les chercheurs ont trouvé des boîtes de documents "sommairement triés par sujet". Mais ce n'est pas tout : dans les archives secrètes, les documents concernant les abus sexuels, mais aussi les comportements problématiques aux yeux de l'Église, comme les relations avec des femmes et des hommes adultes, sont fragmentaires en raison de la pratique archivistique, ce qui rend difficile la reconstitution des cas. Plusieurs sources suggèrent également la destruction de documents sans le résumé prescrit. Selon une lettre du vicaire général au nonce apostolique, un prêtre aurait reçu en 1995 l'ordre de l'évêque de l'époque, Mgr Eugene Corecco, de brûler des documents relatifs à des abus sexuels. Contacté par les chercheurs, le prêtre en question a cependant nié les faits, "ce qui ne permet pas de confirmer avec certitude la destruction des documents".

Silence des victimes tessinoises

Les abus sexuels dans l'Église catholique: un problème mondial

La Suisse a pris son temps pour réaliser une étude indépendante sur les abus sexuels dans l'Église catholique romaine. C'est ce que montre la comparaison avec d'autres pays comme les États-Unis.

En 2002, une équipe de journalistes du Boston Globe révélait un système de dissimulation et de transfert de prêtres dans l'archidiocèse de Boston, aux Etats-Unis. Ils recevront le prix Pulitzer pour leurs recherches.

Depuis lors, les abus sexuels commis par des membres du clergé, des religieux et des employés de l'Église catholique romaine font l'objet d'un débat public. Mais dans plusieurs pays, la question a commencé à être abordée plus tôt.

États-Unis: en 1985, le rapport Doyle montre que l'archidiocèse de Boston a dépensé 10 millions de dollars pour couvrir des cas d'abus sexuels. Les auteurs du rapport indiquent clairement qu'un traitement transparent est nécessaire pour continuer à être crédible en tant qu'Eglise. Pourtant, les journalistes du Boston Globe révéleront ensuite l'existence d'un système élaboré de dissimulation.

En 2004, un rapport interne sur la crise de l'Eglise catholique aux États-Unis est publié, ainsi qu'une étude indépendante qui identifie 10'667 cas possibles d'abus sexuels et 4392 accusés entre 1950 et 2002. Ce sont surtout les avocats qui ont fait avancer le dossier.

Irlande : En 1995, le cas d'un prêtre ayant abusé de 90 enfants pendant plusieurs années suscite l'indignation. En 1997, le gouvernement irlandais reconnaît sa responsabilité dans des abus systématiques commis dans les institutions ecclésiastiques, en raison des liens étroits entre l'Etat et l'Eglise en Irlande.

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Les rapports provenant des foyers catholiques pour enfants sont particulièrement bien connus. En 2002, une enquête officielle est menée sous la pression des autorités de l'Etat. Suivent d'autres enquêtes dans les diocèses et les foyers.

Allemagne : En 2002, les évêques allemands réagissent aux scandales mis au jour aux États-Unis et en Irlande en édictant des directives sur la manière de procéder en cas d'abus sexuels sur mineurs. Mais ce n'est qu'après la révélations en 2010 d'abus commis dans une école jésuite de Berlin que les archives et les dossiers du personnel sont examinés.

Une étude indépendante est commandée en 2014. Elle identifie 1670 suspects et 3677 victimes pour les années 1946 à 2014. Certains diocèses commandent également des études spécifiques à leur évêché.

France : Plusieurs cas d'abus sont révélés en 2016. L'archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, qui aurait couvert les abus du prêtre Bernard Preynat, se retrouve au centre de l'attention.

Après la révélation de "l'affaire Preynat-Barbarin", les évêques et les congrégations religieuses commandent en 2018 une étude indépendante. On parle d'environ 330'000 personnes concernées et entre 2900 et 3200 suspects depuis les années 1950.

Portugal : En 2021, les évêques commandent une étude indépendante, publiée cette année. Depuis 1950, plus de 4800 cas d'abus sexuels auraient été commis par des membres du clergé ou des employés de l'Eglise.

Italie : En 2022, l'organisation de victimes "Rete l'ABUSO" publie un rapport. Il manque une étude indépendante sur les allégations.

Pologne : Dans la société polonaise, le débat sur le sujet est quasi inexistant. À ce jour, aucune étude indépendante à grande échelle n’a été menée.

Espagne : Il n'y a pas non plus eu jusqu'à présent de travail systématique sur le sujet en Espagne. L'Eglise catholique romaine s'y refuse, mais les médias attirent l'attention sur des cas d'abus sexuels. Le journal national El Pais les recense depuis 2018 et arrive à près de 1000 cas.

Situation en Europe occidentale

Que se passe-t-il après les révélations sur les abus sexuels de l'Église catholique suisse ?

Une enquête officielle sur l'Église catholique romaine en Suisse a identifié plus de 1000 cas d'abus sexuels depuis 1950. Le Vatican a également ordonné une enquête sur des ecclésiastiques catholiques suisses de haut rang. Un regard sur les conséquences des révélations troublantes qui ont ébranlé l'Église.

Une étude approfondie d'une année sur les abus sexuels commis par des prêtres catholiques et d'autres personnes en Suisse, commandée par la Conférence des évêques suisses et dirigée par deux historiens de l'université de Zurich, a révélé plus de 1000 cas depuis 1950, dont des accusations portées contre 510 personnes. À quelques exceptions près, les personnes accusées d'actes répréhensibles étaient des hommes. Plus de la moitié des victimes étaient des hommes ou des garçons, et les trois quarts des documents indiquaient que les abus sexuels concernaient des mineurs.

Plus de la moitié des cas ont eu lieu dans le cadre de soins pastoraux et environ 30 % dans des lieux tels que des écoles, des foyers et des internats. Certains incidents ont eu lieu lors de confessions ou de consultations. Les chercheurs ont constaté que de nombreux cas étaient "dissimulés, couverts ou minimisés".

"Les autorités ecclésiastiques transféraient régulièrement les clercs accusés et condamnés, parfois même à l'étranger, dans le but d'éviter les poursuites pénales séculières et d'assurer la réaffectation des clercs", ont-ils déclaré. "Ce faisant, les intérêts de l'Église catholique et de ses dirigeants ont été placés avant le bien-être et la protection des paroissiens".

Les chercheurs zurichois ont épluché des milliers de pages de documents, rassemblés par les autorités ecclésiastiques. Mais ils ont indiqué que de nombreuses sources d'information n'ont pas été correctement étudiées. Dans certains cas, des documents ont été détruits pour dissimuler tout acte répréhensible présumé.

Ils ont noté que l'ambassade du Saint-Siège en Suisse avait rejeté leur demande d'accès à ses archives. La consultation des archives au Vatican lui-même s'est heurtée à des "obstacles majeurs".

Les chercheurs se sont vu promettre 1,5 million de francs suisses (1,68 million de dollars) supplémentaires pour poursuivre l'étude jusqu'en 2026.

Ouverture d'une enquête sur des ecclésiastiques catholiques suisses liés à des abus

Deux jours avant la publication du rapport, la Conférence des évêques suisses a annoncé l'ouverture d'une enquête ordonnée par le Vatican sur des ecclésiastiques catholiques de haut rang en Suisse en rapport avec des abus sexuels. Elle a indiqué que des allégations avaient été formulées à l'encontre de plusieurs évêques en activité ou à la retraite, ainsi que d'autres membres du clergé, pour leur gestion des cas d'abus.

Ils sont notamment accusés d'avoir dissimulé des cas d'abus. Certains sont également accusés d'avoir eux-mêmes commis des agressions sexuelles dans le passé. Selon les médias, le Vatican a reçu une lettre contenant ces allégations en mai et a ensuite nommé l'évêque suisse Joseph Bonnemain pour diriger une enquête sur ses confrères.

Les dirigeants catholiques suisses font leur mea culpa

Depuis que la nouvelle a éclaté, de hauts responsables catholiques de tout le pays ont organisé des conférences de presse ou publié des déclarations pour clarifier leur position, présenter des excuses, annoncer le dépôt de plaintes pénales contre les suspects ou promettre des changements.

"En tant qu'institutions ecclésiastiques, nous portons une grande part de responsabilité", a déclaré la Conférence des évêques suisses. Les membres de la hiérarchie de l'Église "doivent faire face à cette culpabilité" et aux conséquences qui en découlent, ont-ils ajouté.

"Nous sommes engagés dans un changement de culture au sein de l'Église", a déclaré Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. Il soutient les réformes proposées, telles que de nouvelles structures institutionnelles pour le signalement des cas, le contrôle psychologique des candidats à la prêtrise et l'interdiction de la destruction des documents relatifs aux cas d'abus.

Mgr Morerod serait accusé, tout comme Jean-Marie Lovey, l'actuel évêque de Sion, de ne pas être intervenu ou de ne pas avoir donné suite à des cas d'abus présumés. Les deux n'excluent pas la démission.

Agir avec plus de fermeté et réinventer le prêtre

"Cela fait dix ans que nous leur demandons de faire quelque chose contre les agresseurs et rien n'a bougé. Ce que les victimes doivent entendre aujourd'hui, c'est qu'il y a eu des abus et que nous allons les sanctionner. Mais l'Église ne sanctionne pas les gens pour l'instant", a déclaré Sylvie Perrinjaquet, présidente de la CECAR, une commission indépendante sur les abus sexuels, à la télévision publique suisse RTS.

Jacques Nuoffer, président du groupe suisse d'aide aux victimes SAPEC, a déploré que la structure de l'Église "pose problème et ralentisse tout". "Chaque évêque est indépendant et dispose de tous les pouvoirs", a-t-il déclaré.

Pour faire évoluer la gouvernance interne, il faut donner plus d'autorité aux laïcs au sein de l'Eglise, estime Laurent Amiotte-Suchet, sociologue des religions à la Haute école de santé du canton de Vaud. Il est important que les demandes de la base parviennent au "sommet de la pyramide" pour aider à transformer l'institution via ses conseils religieux, a-t-il déclaré à la RTS.

"Nous devrions également essayer de faire du prêtre une personne ordinaire", a-t-il ajouté.

M. Nuoffer espère que les écoles religieuses et les monastères profiteront de cette occasion pour encourager les victimes à se manifester et à dénoncer les cas de "comportements inacceptables" survenus dans le passé. Il souhaite également la mise en place d'un centre d'appel national pour les victimes ainsi que davantage de ressources pour la recherche sur les aspects juridiques, psychologiques et sociologiques afin de faire la lumière sur le problème des abus au sein de l'Église.

Mais il reconnaît qu'il reste encore beaucoup à faire. "Les tests psychologiques des prêtres seraient un pas dans la bonne direction", a-t-il déclaré à la RTS. "Les mesures annoncées par la Conférence des évêques suisses doivent être affinées. Pour l'instant, ce ne sont que des mots. Nous devons voir ce qui va se passer. Nous pouvons alors jouer un rôle d'impulsion, en rendant les choses plus claires et plus efficaces".