Régulation du loup en Suisse: gros plan sur un débat qui déchaîne les passions

Face à la forte progression du loup en Suisse, la Confédération a décidé d'autoriser une régulation plus drastique du prédateur dès cet hiver, suscitant la colère des défenseurs de la nature. Quels sont les arguments des uns et des autres? Combien de meutes sont-elles actives dans le pays et quels dégâts font-elles? Etat des lieux.

Plus de 120 ans après sa disparition, le loup fait son retour en Suisse au milieu des années 1990. Il recolonise naturellement le pays, en provenance d'Italie. Pendant plus de quinze ans, seuls quelques individus isolés ou des couples sont observés en Suisse. Il faut attendre 2012 pour voir la première meute se former dans le massif du Calanda, entre les Grisons et Saint-Gall. Depuis lors, d'autres meutes se sont installées dans les cantons des Grisons, de Glaris, du Tessin, du Valais et de Vaud.

A la fin 2022, on comptabilisait 18 meutes suisses et huit meutes transfrontalières, pour une population totale de 240 loups, selon le décompte annuel de la fondation KORA, spécialisée dans l'écologie des carnivores et la gestion de la faune sauvage en Suisse.

La progression s'est accélérée ces dernières années. En 2019, une première meute s'est ainsi établie dans le Jura vaudois et deux ou trois autres sont venues s'ajouter. Des preuves de la présence du loup ont d'ores et déjà constatées dans au moins vingt cantons, y compris Neuchâtel, Fribourg, Berne et le Jura en Suisse romande.

Les dernières données de la fondation KORA (cf. carte ci-dessous) font état de 32 meutes (dont dix transfrontalières) et de six paires actives en Suisse. Ces chiffres ne comprennent pas les individus isolés qui ont été aperçus dans dans tout le massif alpin et le long de la chaîne du Jura. Certains individus se sont même parfois aventurés jusqu'en plaine.

Logiquement, le nombre d'animaux de rente tués est lui aussi en augmentation. L'an dernier, près de 1500 bêtes ont été la proie du loup, contre un peu moins d'un millier en 2020 et 2021, selon l'Office fédéral de l'environnement (OFEV). Entre 2009 et 2019, le prédateur faisait quelques centaines de victimes chaque année. Les éleveurs sont indemnisés pour chaque animal tué. Depuis la fin des années 1990, plus de trois millions de francs ont été versés, dont quelques 700'000 francs pour la seule année 2022, indique la Confédération.

Dans un communiqué à la mi-octobre, le Groupe Loup Suisse relève toutefois que les dommages aux troupeaux ont très nettement diminué cette année, et ce grâce aux mesures de protection telles que l'utilisation de chiens de troupeaux et la pose de clôtures. "Cette année encore, 80% des dommages survenus en Valais concernent des troupeaux non protégés", affirme-t-il. Au début des années 2000, un loup tuait en moyenne 33 moutons par an, contre cinq aujourd'hui, ajoute cette association qui promeut dans ses statuts la cohabitation pacifique avec les grands prédateurs indigènes.

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Selon la fondation KORA, au moins 50% du territoire national - en particulier les Alpes et la chaîne du Jura - constitue un habitat approprié pour le loup. A ce titre, d'un point de vue purement biologique, entre 50 et 100 meutes de loups pourraient vivre dans le pays. Par ailleurs, d'après une étude scientifique internationale menée en 2016, la Suisse devrait accueillir au moins 17 meutes pour permettre d'assurer la viabilité à long terme de l'espèce dans les Alpes.

Le débat sur le loup en Suisse reste pourtant extrêmement vif. Les écologistes estiment que l'animal devrait pouvoir prospérer dans notre pays. Les grands prédateurs sont le moyen le plus efficace de réguler le nombre de cerfs et autres herbivores qui font d'énormes dégâts aux forêts, rappellent-ils. Face à eux, les éleveurs mettent en avant les attaques contre les troupeaux et les conséquences économiques qu'elles engendrent, ainsi que le bien-être des personnes susceptibles d'être en contact avec le canidé.

La régulation préventive plutôt que réactive

Afin de permettre une coexistence durable entre les humains et le prédateur, le Conseil fédéral a décidé il y a quelques jours de mettre en oeuvre la première partie de la modification de la loi sur la chasse, qui assouplit les conditions de tir. "Les cantons peuvent désormais abattre des loups afin de prévenir les dégâts, et non plus uniquement une fois que ceux-ci se sont produits", explique le gouvernement. Cette révolution dans la stratégie de régulation du loup entre en vigueur dès le 1er décembre.

Le loup reste une espèce protégée, souligne le Conseil fédéral. "Les meutes qui ne posent pas de problème ne peuvent pas être tirées", précise le chef du DETEC Albert Rösti. Les cantons ne pourront pas exterminer des meutes entières sans justification. Le gouvernement a par ailleurs divisé le pays en cinq régions, pour lesquelles un nombre minimum de deux ou trois meutes a été défini. Au total, la Suisse devra conserver au moins 12 meutes. Cela représente une réduction potentielle de quelque 70% du nombre de meutes par rapport à la situation actuelle.

Les Grisons n'ont pas perdu de temps pour annoncer leurs intentions. Ils ont demandé mardi à la Confédération l'autorisation d'éliminer entièrement quatre des douze meutes installées dans le canton. Les autorités grisonnes souhaitent aussi tuer jusqu'à deux tiers des petits de deux meutes présentes près de Davos et dans le Val Poschiavo. Au total, elles visent jusqu'à 27 animaux, en plus des 17 individus déjà sous le coup d'une autorisation de mise à mort. Le canton compte aujourd'hui quelque 130 loups sur son territoire.

Comment réguler le loup?

De plus en plus de loups, de moins en moins d'attaques

Les derniers chiffres le montrent : Les loups ont tué beaucoup moins d'animaux cette année que l'année dernière, bien qu'il y ait de plus en plus de loups en Suisse. La raison de cette situation est sujette à débat.

Agnes Wuthrich

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Au cours du week-end, les loups du Kärpfrudel à Elm (GL) ont égorgé de nombreux alpagas. Un autre est mort ce matin, dit Urs Elmer. Sa famille d'éleveurs a ainsi perdu huit alpagas au total, et trois autres sont blessés. "J'ai vu à quel point les loups sont violents." Les alpagas n'auraient aucune chance. "Ils peuvent se défendre contre un seul loup, mais pas contre plusieurs.

Toutefois, les derniers chiffres dont dispose SRF montrent qu'il y a de moins en moins de loups tués. L'année dernière, dans les cantons où il y a des meutes de loups, plus de 1200 animaux ont été tués à la fin du mois de septembre. Cette année, les loups ont tué près de 850 animaux au cours de la même période, soit une diminution de 29 %.

La baisse est particulièrement marquée dans les cantons des Grisons et de Glaris : dans le canton des Grisons, le nombre d'animaux tués a diminué de moitié, tandis que dans le canton de Glaris, il y a eu plus de 80 % d'attaques en moins. Le nombre d'attaques de loups a également diminué dans les cantons du Valais et du Tessin. Dans les cantons de Vaud et de Saint-Gall, en revanche, le nombre est resté stable.

Le fait qu'il y ait de moins en moins d'attaques est lié à l'extension de la protection des troupeaux, explique l'organisation de protection de l'environnement Pro Natura. "Cela signifie que le troupeau est protégé soit par des chiens de garde, soit par des bergers. Les bergers peuvent également sécuriser leurs troupeaux à l'aide de clôtures électriques qui repoussent les loups", explique Sara Wehrli, responsable de la politique de la chasse à Pro Natura.

"Les mesures de protection des troupeaux fonctionnent généralement très bien contre le loup", déclare Sara Wehrli. Cependant, il y a des individus - rarement des meutes entières - qui parviennent à contourner les mesures de protection. Dans ces cas, toutefois, on peut déjà intervenir aujourd'hui et tirer sur le loup, décimant ainsi la meute.

Le président de la Société suisse d'élevage ovin, Lukas Berger, a une autre explication pour la diminution du nombre d'attaques. La diminution du nombre d'attaques est liée au fait que de moins en moins d'alpages sont exploités - à cause du loup. "De nombreux payans de montagne sont mentalement à bout. Chaque attaque est une attaque de trop. La pression psychologique exercée sur les personnes concernées est énorme."

Du point de vue de Pro Natura, la solution consiste à étendre la protection des troupeaux. En effet, 80% des attaques se produisent dans des troupeaux qui ne sont pas protégés. "Cela montre qu'il y a un grand besoin d'expansion", estime Sara Wehrli. Cette année, dit-elle, le budget de protection des troupeaux avait déjà été épuisé en juin. Selon elle, il est clair que la protection des troupeaux doit continuer à être financée par le gouvernement fédéral.

Lukas Berger soutient également les mesures de protection des troupeaux. Près de Spiez, dans l'Oberland bernois, il élève lui-même des moutons qu'il protège par une clôture électrique. Cependant, la protection des troupeaux atteint en partie ses limites. Il y a déjà eu des attaques dans les troupeaux protégés, dit Lukas Berger: "En raison des conditions topographiques, tous les alpages ne peuvent pas être protégés". La protection des troupeaux est certainement une démarche importante et juste, estime-t-il. "Cependant, il n'est pas possible de l'appliquer partout de la même manière."

Lukas Berger compte donc sur la nouvelle ordonnance sur la chasse du Conseil fédéral. Cela signifie qu'à l'avenir, des troupeaux entiers pourront être abattus à titre préventif, sans qu'un loup ait préalablement tué un animal de rente.

Plus de loups, moins d'attaques

Loup: tirer ou protéger?

Dans les régions de montagne, les braconniers jouissent de plus de sympathie que les loups en raison de la colère des agriculteurs face aux attaques de leurs animaux

Ici, à côté de la bergerie, Matthias Schnyder a tiré le loup M250 à l'aube. Condamné pour braconnage, il nous accueille sur les lieux du crime. Il se souvient du moment où il a abattu le loup en octobre 2022: "Je suis venu à l'étable, j'ai fait une visite d'inspection et j'étais armé. C'est alors que j'ai vu le loup attaquer les moutons. Je savais ce que je faisais. Nous avons des lois en Suisse. Je le savais parfaitement: le loup est un animal protégé. Mais j'ai aussi une obligation envers mes animaux."

Simone Fassora

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Le loup a de nombreux ennemis en Suisse. Les loups sont régulièrement tués illégalement. Principalement avec des armes à feu, mais aussi avec du poison. Des recherches menées par SRF montrent que plus d'un loup retouvé mort sur sept a été victime de braconnage.

Pour être exact: 128 loups morts entre 1998 et fin août 2023. Onze d'entre eux ont été tués illégalement. Dans le cas de huit autres loups abattus légalement ou tués dans un accident de la route, les enquêtes ont montré que les loups avaient été abattus illégalement auparavant. Des chiffres confirmés par l'Office fédéral de l'environnement (OFEV). En outre, tous les loups morts ne sont pas retrouvés. Le nombre réel de cas de braconnage pourrait donc être encore plus élevé.

Il y a une histoire derrière le tir fatal de Matthias Schnyder. Un fait qui a mis le berger à l’épreuve. Deux nuits plus tôt, le loup attaque le troupeau de moutons qui broutaient près de l'étable. Matthias Schnyder découvre une douzaine de moutons morts et blessés. Une image qui reste gravée dans son esprit.

Il s'inquiète pour ses brebis, il dort mal. Il sort donc du placard un fusil - arme pour laquelle il n'avait pas d'autorisation - et se rend à la bergerie. Lorsque le loup réapparaît, il réagit. "J'ai immédiatement ressenti l'adrénaline au bout des doigts", explique Matthias Schnyder. Il tire sur le loup à 50 mètres. "Avec du recul, on peut peut-être dire que j'aurais pu tirer en l'air et non directement sur le loup". L'animal blessé court vers la lisière de la forêt et meurt.

Sur les réseaux sociaux, certains célèbrent le tireur, d'autres le critiquent. Cet été, le Ministère public du Haut-Valais a condamné Matthias Schnyder pour braconnage et infraction à la loi sur les armes.

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Il se considère comme un berger qui a fait son devoir : "Je ne suis pas un braconnier. Je protégeais mes moutons. J'ai été condamné pour braconnage, c'est exact. Mais je ne suis pas un fou qui chasse les loups ou les trophées". Matthias Schnyder en subira les conséquences: une peine pécuniaire avec sursis de 4000 francs et une amende de 950 francs. Même s'il a été condamné par la justice, il est convaincu d'avoir agi moralement.

Un loup sur sept victime de braconnage

Un reportage entre la vallée du Vergeletto, dans un alpage de 200 moutons, et la Leventina, où vit le propriétaire des bêtes victime d'attaques l'été dernier.

"J'aimerais bien rencontrer un loup un jour, mais ce n'est pas encore arrivé". Benjamin me surprend immédiatement; ce n'est pas la réponse classique que l'on attendrait d'un berger. Il faut dire que cet Allemand de 33 ans a un parcours particulier: formation de graphiste et emplois divers sur son CV, avant plusieurs expériences dans les Alpes suisses au cours des six dernières années, entre le Valais et les Grisons, toujours en contact avec des moutons et des chèvres dans les montagnes. Mais nous sommes ici à l'Alpe Arena, dans la vallée du Vergeletto, non pas pour parler de son passé, mais pour parler des loups et de la protection des troupeaux.

Au niveau de la protection, poursuit le berger, "les choses vont bien: nous avons maintenant la possibilité d'enfermer les moutons la nuit dans la grange, de construire une clôture électrifiée ou encore de profiter de celle déjà posée l'année dernière pour les chèvres - afin d'y mettre les moutons. C'est pratique car nous pouvons déplacer les bêtes tous les trois jours au moins - et assurer ainsi leur bien-être. Ici, il y a aussi l'avantage d'être une zone touristique avec plusieurs cols, ce qui contribue sans doute à éloigner un peu le loup".

En Valais, Benjamin a été en contact avec un agriculteur qui a abandonné son activité après une série d'attaques, psychologiquement détruit, et dans les Grisons, il a même proposé des solutions bricolées, comme des épouvantails ou des feux. Et jusqu'à présent, il n'a jamais été attaqué. Les quelque 200 moutons dont il s'occupe - avec sa partenaire Eva Clivio - appartiennent à Giulia Giugliemma, une éleveuse de Léventine de Sobrio qui avait subi une importante prédation l'année dernière dans le Val Bavona, sur l'Alpe d'Antabia. Ils constituent en fait une solution de repli, car ce pâturage est traditionnellement occupé par des chèvres et des vaches.

"Il y avait plusieurs possibilités, mais soit il y avait des problèmes d'organisation et de calendrier, soit il y avait ceux qui ne voulaient tout simplement pas le faire parce qu'ils avaient peur, même avec des vaches et des chèvres. À un moment donné, nous nous sommes dit qu'il fallait trouver une solution et nous avons opté pour le mouton.

Des craintes en partie imaginables: nous sommes à deux pas du Val Grande italien, d'où une meute de loups transfrontalière a fait des incursions répétées sur le sol locarnais, notamment dans la région de Cimalmotto-Bosco Gurin. Quoi qu'il en soit, le problème du loup, s'il ne perturbe pas le sommeil de Benjamin, lui donne beaucoup de travail supplémentaire, et il n'est pas toujours facile de joindre les deux bouts. Malgré les difficultés, le pâturage des animaux en montagne doit être préservé pour Benjamin, dans l'intérêt de la biodiversité, de la tradition et du paysage. C'est pourquoi, selon le berger, le canidé doit être géré: "Ce n'est pas une question facile, mais je pense que les inquiétudes des agriculteurs de montagne et de l'économie alpine sont justifiées. Il y a ceux qui voudraient qu'on ne touche pas au loup et puis ceux qui voudraient tous les éliminer... Je pense qu'il faut une régulation et une législation. Quand il y a deux loups c'est une chose. Mais quand il y en a de plus en plus et qu'ils continuent à grandir, tout change... et il faut que des spécialistes s'en chargent."

Je quitte donc Benjamin et reprends le sentier jusqu'à la cabane Salei, où je rencontre le gardien Gianluca, qui gère l'établissement avec sa femme. Je l'interroge aussi brièvement sur le loup. "L'année dernière, il a attaqué des chèvres dans les environs et en a tué quatre ou cinq. Nous sommes plus vigilants, mais nous n'avons pas peur", assure le directeur.

Le propriétaire : "Un grand effort. Mais cela fait 22 ans que je m'accroche".

Après un long trajet, j'arrive également chez Giulia Giugliemma, la propriétaire des quelque 200 moutons que j'ai rencontrés quelques heures plus tôt dans la vallée du Vergeletto. Elle me montre un mouton à trois pattes, "il a été mordu par le loup il y a trois ans". Après les prédations survenues en Antabia en 2022, Julia a été très perturbée : "Passer à autre chose n'a pas été facile du tout", dit-elle. "J'ai dû faire les foins et m'occuper des moutons et des agneaux blessés. C'était un grand effort, physiquement et psychologiquement". Mais l'idée d'abandonner, dit-elle, ne lui a jamais traversé l'esprit : "Cela fait 22 ans que je suis seule, aidée sporadiquement par mon fils". Ce qui confirme qu'on est résistants ici, même pour des crocs de loup.

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Vivre avec le loup

Face au loup: "ça ne va plus, j'arrête"

Maurizio Minoletti, qui exploite l'Alpe Rompiago depuis 7 ans, est au bout du rouleau:  "Il a tué un tiers du troupeau".

Quand le loup pousse à jeter l'éponge. La présence de plus en plus répandue du canidé, même au Tessin, continue de faire la une des journaux. Nous avons déjà parlé du projet tessinois visant à protéger les troupeaux grâce à l'utilisation de phéromones. Aujourd'hui, nous vous présentons le témoignage de Maurizio Minoletti, un éleveur bien connu, qui a décidé de jeter l'éponge, de vendre ses animaux, de quitter l'Alpe Rompiago - près de Monte Bar - et d'abandonner sa profession. De nombreux paysans tessinois font le même choix.

Maurizio Minoletti exploite l'alpage Rompiago depuis 7 ans et est une figure bien connue dans les environs, notamment parce que le mont Bar est un lieu très fréquenté par les touristes. Mais Maurizio Minoletti a décidé de partir, de changer de vie. La prédation en est la principale cause.

"Malheureusement, la pression exercée par les loups dans cette région augmente d'année en année. Nous avons commencé avec 5 ou 6 spécimens et nous en sommes aujourd'hui à plus ou moins 20. Au total, 12 animaux ont été tués cette année et 5 autres ont été blessés. Au total, en sept ans, plus de 50 chèvres et 8 moutons ont été prédatés, soit environ un tiers du troupeau. Ceci dit, tant que vous les trouvez morts et dévorés , ça fait mal, mais ça va. Quand on commence à les voir avec une douzaine de morsures et toujours vivants, ça fait très mal".

Maurizio Minoletti confirme qu'il connaît de nombreux collègues qui, comme lui, envisagent de quitter la profession, "en partie parce qu'on se sent vraiment abandonné par tout le monde".

Au fil des ans, l'éleveur a tenté de protéger ses animaux : "Nous avons des chiens de protection depuis 15 ans. Malheureusement, lorsque les loups sont si nombreux, ils parviennent à détourner l'attention des chiens et continuent à s'attaquer aux bêtes. Le mâle pèse environ 56 kg et est un berger des Pyrénées, mais l'année dernière, il a été mordu par des loups sur le dos et a été complètement ouvert. Et j'insiste sur le fait que nous sommes parmi les plus chanceux ici dans la région, nos voisins de l'Alpe, lors de la dernière prédation, je pense qu'ils ont perdu 13 têtes en une seule nuit... Aujourd'hui, ces épisodes ne font même plus l'objet d'articles dans les journaux ou de reportages dans les médias". Avec les chiens de protection, Maurizio Minoletti a également rencontré des problèmes de coexistence avec les touristes, certains cyclistes "irrespectueux" ayant été mordus.

Le choix de quitter l'alpe et le commerce est très douloureux pour Maurizio : "Je pense qu'à long terme, ceux qui parviendront à survivre à ces temps difficiles verront des signes encourageants. La question est de savoir combien d'entre eux survivront d'ici là. Cela fait sept ans que je suis dans ce pâturage, mais cela fait 18 ans que nous faisons ce travail. Et c'est si difficile, nous ne voyons pas d'avenir, c'est impossible".

Que va faire Maurizio Minoletti ? "Nous allons probablement reprendre un Grotto", conclut-il non sans amertume.

"Ca ne va plus, j'arrête"

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Trop gros, trop forts, trop bruyants:  les chiens de bergers dérangent

En hiver, les troupeaux de moutons qui arrivent au village sont accompagnés de chiens de garde. Cela entraîne des problèmes avec les promeneurs.

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De temps en temps le bruit d'un avion - ou les aboiements des chiens qui gardent le troupeau de la famille Bernold. Il s'agit de chiens de montagne des Pyrénées qui gardent les moutons de la ferme de Mels et d'un pâturage de Coire. Un animal grand et fort dont la tête ressemble à celle d'un golden retriever.

Les chiens se trouvent avec le troupeau de moutons, à l'intérieur d'une clôture. "Ils surveillent de très près ce qui se passe autour de la clôture et défendent le troupeau, même dans la vallée", explique Olivia Bernold, agricultrice et propriétaire de chiens.

"Il y a toujours des rencontres désagréables avec des marcheurs, des coureurs ou des cavaliers", explique Olivia Bernold. "Des gens ont déjà appelé la police parce qu'un des chiens de garde se trouvait en dehors de la zone de pâturage clôturée", ajoute Martin Bernold. Ils trouvent cela difficile.

La protection des troupeaux par des chiens est un concept que la Confédération poursuit depuis le début du siècle, lorsque le loup est réapparu en Suisse.

Le propriétaire est tenu de garder le chien sous contrôle à tout moment.

Il existe des objectifs contradictoires entre la sécurité, la protection des troupeaux et la conservation de la faune. "La priorité absolue est que le propriétaire du chien le contrôle à tout moment", déclare le vétérinaire cantonal de Saint-Gall Thomas Christen.

Les personnes qui détiennent officiellement des chiens de protection du bétail sont évaluées. Il existe des exigences et des contrôles, comme l'écrit le Centre suisse de protection des troupeaux. En été, par exemple, le centre spécialisé indique également sur son site web les endroits où les chiens de protection sont utilisés, afin que les randonneurs puissent s'orienter.

"Cependant, il y a de plus en plus de propriétaires qui gardent des chiens de protection à titre privé", déclare Thomas Christen. Ils renoncent aux paiements directs du gouvernement fédéral. En revanche, leurs animaux ne sont pas inspectés et surveillés aussi étroitement que les chiens de garde officiels. Selon le vétérinaire officiel, cela pose des problèmes.

Selon l'Office suisse de protection des animaux, environ 300 chiens de protection travaillent actuellement dans une centaine d'alpages suisses dans le cadre du programme national de protection du bétail, ainsi que sur les pâturages de printemps, d'automne et les pâturages familiaux avant et après.

Suite à des incidents impliquant des chiens de protection, les cantons peuvent ordonner des mesures allant de l'éducation à la confiscation ou à l'abattage du chien, en passant par le port de la muselière. Chaque canton a ses propres lois.

Un chien responsable d'un grand troupeau ne peut pas être un chien de salon tranquille et bien élevé.

"Il s'agit de la coexistence de l'agriculture et des loups", déclarait le directeur de l'Union des paysans de Saint-Gall Mathias Rüesch lors d'une réunion d'information en mars. Bien entendu, un chien responsable d'un grand troupeau ne peut pas être un chien de salon tranquille.

Lors de cette rencontre, Mila Yong, du WWF Appenzell, a plaidé pour la coopération: "Les habitants de la vallée doivent accepter de passer devant les prairies avec un peu plus d'attention pendant un certain temps."

Les chiens ont besoin d'un dressage régulier

"Les chiens de protection du bétail ne sont parfois pas assez sollicités en hiver", observe le vétérinaire cantonal. Une formation régulière est importante. Et il ajoute : "A Saint-Gall, il n'y a pas plus d'incidents avec des chiens gardant le bétail qu'avec d'autres chiens.

Les quatre chiens des Bernold sont entraînés à protéger leur troupeau pratiquement seuls, 24 heures sur 24, sur l'alpage.

"Nous avons de bonnes relations avec les voisins", affirment Olivia et Martin Bernold. "Mais nous aimerions que les personnes qui passent devant un troupeau de chiens de garde dans la vallée fassent preuve d'un peu plus de compréhension.

Ils remonteront à l'alpage à la fin du mois de mai. Les quatre chiens de garde qu'ils possèdent depuis huit ans font partie du voyage. "Depuis qu'ils sont là, nous n'avons pas vu une seule attaque de loup". 

Trop gros, trop forts, trop bruyants

Un collier anti-loup, la solution miracle pour protéger les troupeaux?

Un collier chargé de phéromones censées repousser le loup a été développé par des chercheurs suisses. Il est actuellement en phase de test sur 23 alpages et les premiers résultats seraient prometteurs.

Développé par deux chercheurs des cantons de Vaud et du Tessin, le système fonctionne grâce à des phéromones de loup mixées à de la cire végétale. Le mélange durci est placé dans une boîte qui s’accroche au collier des animaux et qui diffuse une odeur particulière pendant trois à quatre mois.

Ces phéromones sont respirées par le loup et celui-ci a des récepteurs sur lesquels les phéromones vont interagir, ce qui va déclencher un signal dans le cerveau du canidé. "Il va croire qu'il est sur le territoire d’un autre loup ou dans un endroit où il ne peut pas entrer. Il doit donc s'éloigner pour ne pas entrer en conflit avec un autre animal", explique le chercheur Davide Staedler, directeur de l'entreprise TIBIO, dans le 19h30.

Le collier coûte 25 francs. Aujourd'hui, 657 animaux prennent part à cette expérience. Seul un animal portant un collier anti-loup a été victime du prédateur. Il s’agit d’une bête d'un éleveur vaudois.

"Une de nos vaches avait un collier, mais on venait de le lui mettre. Depuis, on en a mis à tout le troupeau et nous n'avons pas eu de nouvelles attaques, mais elles sont ailleurs aujourd'hui", explique l'éleveur Gérald Rime.

Les sociétés TIBIO et Studio Alpino, qui développent ces colliers, restent toutefois prudentes. "On ne veut pas donner des faux espoirs. On veut vraiment être clairs sur le fait que c’est un test. Les résultats sont très positifs, mais on ne peut pas encore dire que ça marche à tout prix. On a besoin du soutien des autorités et des paysans pour qu'on construise ce projet ensemble", détaille Davide Staedler.

Plusieurs cantons et l’Office fédéral de l’environnement ont déjà signalé leur intérêt pour ce projet. Quant aux chercheurs, ils attendent l’automne pour analyser les données récoltées et améliorer encore leur collier.

Une solution miracle?

L'augmentation des meutes transfrontalières de loups, nouveau défi pour les autorités

Les loups sont de plus en plus nombreux aux portes de la Suisse. Selon des estimations publiées début août par le département de Haute-Savoie, le nombre de loups en France voisine a presque doublé en un an. L'animal serait maintenant présent sur la quasi-totalité du territoire haut-savoyard. Et ils sont toujours plus nombreux à traverser les frontières.

La gestion d'un nombre toujours plus important de loups qui traversent la frontière devient un nouveau défi pour les autorités, car leur nombre a rapidement augmenté.

On retrouve des meutes entre la Suisse et la France, mais aussi l'Italie. En 2020, on dénombrait trois meutes transfrontalières. Aujourd'hui, on estime qu'il y en a huit. Et c'est quelque chose de nouveau à gérer, comme l'explique Nicolas Bourquin, chef du service de la chasse, de la pêche et de la faune du canton du Valais.

"L'expansion des meutes s'est faite rapidement ces deux dernières années, comme en Valais et aux Grisons. Et on commence à voir avec les résultats du monitoring que ces meutes traversent les frontières. Donc c'est quelque chose qui nous occupe activement depuis l'année passée et cette année", explique-t-il.

La collaboration transfrontalière en termes de suivi s'est améliorée. Le premier enjeu est celui de ne pas compter les loups à double, et de savoir où ils se trouvent. La Haute-Savoie a récemment intensifié son monitoring, ce qui permet aujourd'hui d'échanger des informations plus simplement avec la Suisse.

Par contre, la collaboration atteint ses limites au moment où il faut déterminer quel loup doit être tiré, car les autorités de chaque pays ne se mettent pas d'accord.

Deux stratégies très différentes se font face. En Suisse, les règles sont plus strictes: on ne peut pas tirer n'importe quel loup, et il faut des raisons, comme le fait d'avoir attaqué du bétail. En France, un certain taux de loups, 19% de la population, peut être abattu.

Ce ne sont en outre pas les mêmes acteurs qui peuvent le faire. En Suisse, ce sont les gardes-faune qui se chargent des tirs, dits "de régulation". En France, c'est différent. Stéphane Anselme-Martin, chef de service à l'office français de la biodiversité de Haute-Savoie, explique:

"On ne détermine pas localement la façon dont vont être faits les prélèvements. Ce sont des protocoles nationaux. Les tirs sont dérogatoires: ce sont des tirs de défense qui sont donnés aux éleveurs pour se défendre sous certaines conditions. On n'a pas l'opportunité de pouvoir changer les choses, ou qu'elles soient différentes d'un département à un autre. Nous, on suit ce protocole-là."

L'année dernière, une louve d'une meute transfrontalière, celle du Rizoux, a été abattue par des louvetiers français, alors qu'à moins de quatre kilomètres de là, en Suisse, elle était protégée. Une situation qui pourrait se répéter avec l'augmentation des meutes transfrontalières et qui inquiète le Groupe Loup Suisse. Selon la responsable romande Isabelle Germanier, si des tirs en France sont effectués durant la période de reproduction, les conséquences pourraient être graves.

"S'ils prélèvent les parents reproducteurs à cette période, la meute risque d'exploser et si ces loups ont des comportements non-souhaitables, en se dispersant la meute risque de venir appliquer ces comportements sur la Suisse", explique-t-elle.

Une autre préoccupation est qu'un même animal soit visé par des tirs de part et d'autre de la frontière. Pour éviter que deux loups soient ainsi tués, la communication est donc cruciale et doit être intensifiée.

Du côté des associations de défense du loup, on plaide aussi pour la modification de la politique de tirs en France. La France doit d'ailleurs adopter un prochain plan loup pour la période allant de 2024 à 2029. Les associations craignent que le pourcentage de loups qui peuvent être tués soit à nouveau augmenté.